ՄԵՐ ՈՒՂԻՆ

FRA : « la scission ou la mort?»

Gaïdz Minassian

A l’époque révolutionnaire, les fedaïs dachnaktsagans avaient pour slogan « la liberté ou la mort ». Plus de cent ans après leur inoubliable sacrifice, la FRA se retrouve – hélas – aujourd’hui face à une alternative d’une faible amplitude : « la scission ou la mort ». De quoi s’agit-il ? Quelle « scission » ? Quelle « mort » ?

D’abord la scission : elle se fonde sur deux processus complémentaires. D’une part, elle prend corps aux Etats-Unis dans la crise qui oppose le Bureau mondial de la FRA au Comité central de la FRA de la côte pacifique. Pour la première fois depuis les années 1930, la FRA étale au grand jour une crise interne. Le Bureau mondial veut imposer son autorité et utilise les moyens les plus pervers pour parvenir à ses fins, jusqu’à violer statuts et pratiques du Dachnaktsoutioun. Le Bureau mondial casse les décisions légales de sa propre branche californienne, expulse les éléments récalcitrants, procède à des purges en recourant à des procédés abjects pour traîner dans la boue ces « dissidents » et nomme une nouvelle direction régionale pour montrer qu’il garde la main alors qu’il ne fait qu’aggraver la crise jusqu’à pousser ses fidèles à en venir aux mains pour faire entendre raison. Pathétique et grotesque. Résultat : en Californie, la FRA s’appuie sur un canal-historique (le Comité central élu mais « dissident ») gêné par un canal-officiel (le Comité central désigné mais impopulaire). La crise n’est pas seulement bureaucratique. Elle est aussi politique et financière. Politique, les cadres du canal-historique s’interrogent sur la stratégie de leur parti en Arménie : à quoi bon poursuivre cette logique suicidaire qui prévaut dans la FRA échec après échec. Financière, les cadres du canal-historique savent que la dernière branche du parti capable de financer l’action du Dachnaktsoutioun dans le monde est la Californie. Mettre la main sur la FRA de la côte pacifique, c’est mettre la main sur des millions de dollars. Or, en Arménie, la FRA, privée de ressources depuis son statut d’opposant extra-parlementaire, n’a plus les moyens d’action. Elle a donc besoin de ressources matérielles et par coup de pressions sur le Bureau mondial, les dachnakstagans d’Erevan entendent faire main basse sur la « banque du Dachnaktsoutioun » pour préparer les élections législatives à venir et c’est là que le deuxième processus de scission intervient.

D’autre part, comme convenu, la FRA d’Arménie va rejoindre Robert Kotcharian dans la perspective d’élections législatives anticipées. Elle va donc lâcher Vasken Manoukian et rejoindre l’ancien président, ami de Vladimir Poutine. Ce n’est pas la première fois que la FRA lâcherait l’ancien premier ministre. Déjà en 1998, lorsque Robert Kotcharian a favorisé la libération de Hrand Markarian et de Vahan Hovannessian, la FRA, qui jusque-là marchait main dans la main avec Vasken Manoukian, qui était, rappelons-le, le candidat de la FRA à la présidentielle de 1996, a rejoint l’administration Kotcharian au pouvoir, Vahan Hovannessian devenant conseiller du président. A cette époque, Vasken Manoukian avait exhorté Hrand Markarian et Vahan Hovannessian de ne pas laisser la FRA rejoindre l’équipe de Robert Kotcharian, car il était important pour l’Etat arménien que la FRA reste cette alternative en dehors de tout exercice du pouvoir. Rien n’y fait, le « pasdaran Hrand » et le « siloviki Vahan » rejoignent le cabinet de Kotcharian. Le premier à la tête d’une FRA, contrainte au silence face aux dérives du régime à Erevan, le second au sein de l’équipe présidentielle ; les deux à la tête du Bureau mondial de la FRA.

C’est à la conjonction de ces deux processus que la scission pointe le bout de son nez et semble inévitable. En cas de collaboration FRA-Kotcharian, la liste menée par l’ancien président risque, si la justice n’empêche pas sa candidature, de franchir la barre des 5% pour accéder au Parlement. La FRA pourra toujours dire qu’elle a sauvé sa peau, tiré son épingle du jeu mais elle ne sera plus autonome, elle devra faire alliance avec des députés kotcharianistes et surtout s’expliquer devant les camarades qui lui demanderont si cette alliance ne vient pas entacher la décision du dernier congrès mondial de la FRA selon laquelle « la FRA ne participera plus à la moindre coalition gouvernementale où elle est minoritaire ». Les apparatchiks du parti pourront toujours utiliser la novlangue dachnaktsagan pour expliquer qu’être dans une coalition d’opposants n’est pas la même chose que de participer à un gouvernement de coalition. L’argument pourrait être valable. Il pourrait même éventuellement franchir les montagnes du Caucase mais au fil des réunions générales dans les branches du parti dans le monde, il devrait perdre de sa vigueur et se transformer en source d’irritation, de mécontentements et de scission où la FRA de Californie apparaîtrait comme le « bastion » de la mutinerie, rejointe progressivement par des branches hostiles à une alliance avec Kotcharian. La FRA serait divisée en une branche pro-kotcharian et une branche anti-kotcharian. Insupportable !

Ensuite la mort : si le Kerakouïn marmine de la FRA se voit imposer par son Bureau mondial de la FRA (on peut encore rêver) une ligne autonome « Ni Robert, Ni Serge, mais le Dachnaktsoutioun seul » dans la perspective des élections en 2021, alors il y a de fortes chances que cette stratégie d’autonomisation du parti signe l’arrêt de mort de la FRA dans la République. Envisager une ligne autonome est un credo salutaire, encourageant mais l’hypothèse arrive bien trop tard malheureusement. Les dégâts de la collaboration avec Robert et Serge sont trop nombreux pour incarner une alternative. Et toute marche arrière, y compris en vue de proposer une troisième voie en Arménie (« ni Nikol, ni le couple Robert-Serge ») sonnerait la fin de la FRA dans le pays. C’est peut-être d’ailleurs le vœu caché au fond du coeur de certains dirigeants du Bureau mondial, qui traînent comme un boulet la branche yerevanienne de la FRA, pour au moins tourner la page Hrand, mais ce n’est sûrement pas le vœu du même Hrand Markarian, qui tire les ficelles de la politique du Dachnaktsoutioun en Arménie et jouit encore d’une large influence auprès du Bureau mondial. Dans cette perspective, c’est au sein du clan Hrand que la crise éclaterait, entre une FRA d’Arménie assurée de son extinction et un Bureau mondial totalement affaibli et divisé. Ainsi la FRA mettrait fin à 31 ans d’existence en Arménie. Une FRA diasporisée sans branche en Arménie. Invraisemblable !

Entre la scission et la mort, où est donc l’espoir ? Tout dépend de la suite des événements à Erevan et de la capacité des élites à surmonter cette crise majeure qui frappe l’Arménie, sinon depuis 30 ans, du moins depuis la défaite militaire en 2020. De son côté, pour sortir de cette crise sans fin qui ronge le parti et les esprits, n’est-il pas temps de revenir aux fondamentaux de Christapor Mikaelian ? Et de lancer une version adaptée au XXIe siècle de la Fédération des Révolutionnaires Arméniens, une plateforme ouverte à tout le monde pour le bien de l’Etat arménien et des Arméniens, un forum de dialogue et d’action dédié au développement de la République et du peuple et un espace de libertés sans contraintes ni sanctions. Juste la raison, le bon sens et l’objectif du « State First ».

    

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